La Charte de Kouroukan Fouga : une constitution avant l’heure

Quand on pense aux grandes chartes qui ont marqué l’histoire du monde, on cite souvent la Magna Carta en Angleterre (1215) ou encore la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789). Mais bien avant elles, en Afrique de l’Ouest, un texte fondateur aurait déjà posé les bases d’une société organisée autour de la dignité humaine, de la solidarité et de la justice : la Charte de Kouroukan Fouga.

Aux origines : l’Empire du Mali et Soundiata Keïta

Nous sommes au XIIIᵉ siècle, dans la région de l’actuel Mali. Soundiata Keïta, fondateur de l’Empire du Mali, vient de remporter la bataille de Kirina et d’unifier de nombreux peuples et clans sous son autorité. Pour organiser ce vaste territoire, il convoque une grande assemblée à Kouroukan Fouga, près de Kangaba. Là, chefs de clans, sages et guerriers discutent et posent les règles qui devront guider la vie collective.
De cette rencontre naît ce que l’on appelle aujourd’hui la Charte de Kouroukan Fouga.

Il s’agit d’un texte oral, transmis de génération en génération par les griots (dépositaires de la mémoire collective). Pourtant, malgré sa forme, il est considéré par de nombreux·euses chercheur·euses comme l’une des premières constitutions au monde.

Les grands principes de la Charte

La charte ne se présente pas comme un code juridique écrit, mais comme un ensemble de règles et de valeurs partagées. Ces principes montrent une vision de société étonnamment moderne :

  • Respect de la dignité humaine : la charte interdit l’esclavage par razzia, une pratique courante à l’époque, et reconnaît la liberté individuelle. C’est un geste fort, qui affirme que chaque être humain a droit à la dignité.
  • Justice et équité : l’organisation du pouvoir repose sur deux piliers : le Mansa, l’empereur, et le Gbara, une assemblée représentative des clans. Cette structure garantit que les décisions ne relèvent pas d’une seule personne, mais d’un équilibre entre autorité et délibération collective.
  • Solidarité et entraide : les plus vulnérables doivent être protégé·es. La charte insiste sur le respect dû aux femmes, aux enfants et aux étrangers, afin que personne ne soit laissé de côté.
  • Préservation de l’environnement : bien avant que l’écologie ne devienne un enjeu mondial, la charte impose des règles pour préserver la faune et la flore. La chasse, par exemple, est encadrée pour éviter les abus.
  • Cohésion sociale et vivre-ensemble : chaque clan, chaque métier, chaque tradition a une place reconnue dans la société. L’organisation sociale repose sur la complémentarité des rôles, dans une logique de coopération et non d’exclusion.

Une actualité brûlante

Pendant des siècles, la charte a été transmise oralement. Ce n’est qu’au XXᵉ siècle que des chercheurs et des griots l’ont recueillie et retranscrite. En 2009, l’UNESCO l’a inscrite au patrimoine oral et immatériel de l’humanité, reconnaissant son importance historique et culturelle.

Mais la charte n’est pas qu’un vestige du passé. Ses valeurs résonnent encore avec une étonnante force aujourd’hui. Dans un monde marqué par les inégalités, les tensions sociales et la crise écologique, elle nous rappelle que :

  • la paix repose sur la reconnaissance mutuelle et le respect de la dignité de chacun,
  • une gouvernance saine suppose l’équilibre des pouvoirs et l’écoute de toutes les voix,
  • la solidarité est indispensable pour protéger les plus fragiles,
  • la nature doit être protégée si l’on veut préserver l’avenir.

Pourquoi en parler aujourd’hui ?

Découvrir la Charte de Kouroukan Fouga, c’est se rappeler que l’Afrique a produit, dès le Moyen Âge, des textes d’une portée universelle, bien avant certaines constitutions européennes. C’est aussi mettre en lumière une autre manière de penser la démocratie et le vivre-ensemble, non pas comme une invention récente, mais comme une aspiration humaine ancienne et partagée.

A Orléans, l’association Kouroukan Fouga défend ses principes de dignité, justice, solidarité et respect de la nature. Elle organise chaque année le Festival de Kouroukan Fouga, pour remettre en lumière cette charte ancestrale.


Sources : Association Kouroukan Fouga et Wikipédia