Une minute pour sentir notre interdépendance ou expérimenter l’Ubuntu
Chronique d’une vivante parmi d’autres, par Christelle Th.
Des histoires du quotidien pour partager ce que le “vivre ensemble” lui révèle peu à peu.
Avant d’écrire ici, j’ai lu ou relu les articles déjà publiés. “Êtes-vous Ubuntu ?” m’a tout de suite ramenée à une expérience personnelle récente.
Le mois dernier, en lisant Nathalie Achard (En finir avec les discriminations), je tombe sur un exercice qu’elle propose en atelier. Une minute, deux au plus. Fermer les yeux si on veut. Penser à tout ce que l’on porte sur soi qui dépend d’autres humains, d’autres vivants, d’autres formes d’être. Puis élargir : autour de soi, depuis le réveil, dans sa journée.
Je tente. Je commence par mon jean.
Le commerce en ligne où je l’ai acheté, — la technologie pour le commander, le moyen de transport que j’ai utilisé pour aller chercher le colis, le trajet que ce jean a parcouru. Le tissu tissé, coupé, cousu. Le champ de coton, la plante, l’eau qui l’a abreuvée. À travers ce jean, je suis en interdépendance avec des agriculteurs, ouvrières, conducteurs, ingénieures, vendeurs, mais aussi avec des plantes, des pluies, des sols, des rivières. Et avec toutes celles et ceux qui ont inventé les techniques qui rendent possible l’existence de mon jean, son achat en quelques clics et quelques arrêts de tram.
Je suis aussi reliée à des personnes qui ne sont plus là — inventeurs, découvreuses, tisserandes, bâtisseurs — et à des temps très anciens.
Je poursuis.
Mes baskets aux semelles synthétiques. Mes lunettes avec verres correcteurs ultra performant. Mon smartphone et ses métaux rares. La chaise sur laquelle je m’assieds. L’ordinateur pour écrire. La lumière que j’ai allumée en me levant. Le café et les tartines beurrées que j’ai mangées.
À mesure que la liste s’allonge, je ressens un vertige — un vertige doux et exaltant. Partout, des mains, des gestes, des lieux, des vivants, des matières lointaines. Partout, un fil discret qui relie.
Et je me dis que si j’enlevais tout ce que je porte ou utilise et qui vient d’autrui, je me retrouverais nue, frigorifiée, affamée, sans toit ni tasse de café. Il suffit d’y penser une minute pour sentir que notre autonomie est une illusion : nous sommes tissé·es des autres.
Alors je reviens à Ubuntu.
Si « je suis parce que nous sommes », je ne suis jamais hors lien. J’hérite de ce qui a été fait avant moi, de pensées, de savoir-faire, parfois de silences ; et, par ce que je fais aujourd’hui, j’ouvre (ou je ferme) des possibles pour celles et ceux qui viendront après.
Infiniment petite, en lien avec cet infiniment grand, je me sens responsable de la qualité des relations que je crée avec les vivants, de ceux avec qui je suis en interdépendance, ceux qui me survivront, celles et ceux qui naîtront après que je serai morte.
Derrière l’écran de mon ordinateur, il y a des vies, des gestes, des matières et des inventions. Une multitude silencieuse à laquelle je suis reliée.
Et vous, quels liens invisibles vous ont accompagnés aujourd’hui ?